Jean-Henri Roger est décédé brutalement le 31 décembre 2012.
Jean-Henri Roger, éloge de l’amour du cinéma.
J’ai rencontré Jean-Henri dans une salle de l’université de Vincennes en décembre 1970, à un moment et en un lieu où se concentraient alors la pensée et l’action de l’après 68. Ils étaient tous là, de passage ou en permanence : Foucault, Lacan, Lyotard, Deleuze, Chalelet, Badiou etc. Rivette, Painlevé et Douchet y avaient fait un bref passage et les Cahiers du Cinéma avec Jean Narboni arrivaient dans la place. Jean-Henri venait de réaliser (à vingt ans) avec Godard "British Sounds" et "Pravda", puis "Vent d’Est"avec le Groupe Dziga Vertov, films-tableaux noirs pour les apprentis cinéastes dont j’étais. Nous sommes devenus amis.
L’époque était portée par un inaltérable esprit de contradiction qui correspondait bien au caractère de Jean-Henri . Ce vocable venu du maoïsme, il se l’était approprié pour intervenir dans toute discussion quelle qu’elle soit et où qu’elle se tienne : dans un bar de nuit à deux heures du matin, lors d’une négociation avec Canal + sur la chronologie des médias ou dans une AG à Vincennes, où ses envolées vocales ont été jusqu’au bout attendues et écoutées En réalité, derrière cette volonté farouche de trouver la contradiction en toute chose, il y avait une exigence d’absolu et l’espérance secrète d’un lieu où elles seraient enfin résolues, ces foutues contradictions, qui agitent le monde et qui résonnaient violemment en lui. Le cinéma pour lui était ce lieu rêvé.
Faire du cinéma donc : faire des films et vivre sa vie à travers eux. Il y eut après Dziga Vertov, le groupe Cinélutte et le cinéma militant. Et au bout des années 70 ce fut "Neige" : le couple qu’il formait alors avec Juliet Berto réalisait là le miracle d’une rencontre entre Chester Himes et Bob le flambeur. "Neige" était un instantané de bonheur cinématographique où se lisaient pêle-mêle les influences de la Nouvelle Vague et les marques du présent dans les dédales du quartier de Pigalle. Jean-Henri cherchait toujours dans les espaces qu’il filmait une dramaturgie liée à leurs géographies. "Cap Canaille" tourné à Marseille, "Lulu" aux Saintes-Maries-de-la Mer et "Code 68" à Paris sont aussi des explorations minutieuses de mondes singuliers. Les films sont faits pour ça disait-il : donner des nouvelles du monde à travers des histoires singulières. Ceux réalisés sur les sans papiers auxquels il participé, répondaient bien sûr à cette nécessité.
Conscient du fait que le cinéma était gouverné par des structures économiques et politiques, il n’a pas non plus ménagé son énergie pour allumer des contre-feux aux logiques mercantiles de l’industrie cinématographique française, au coeur d’associations de cinéastes ( l’ACID et la SRF). Permettre la production et la diffusion de films qui ne tombaient par sous le sens du marché, ce fut le deuxième volet de son engagement cinématographique.
Le cinéma, c’était enfin pour Jean-Henri Roger le partage d’une passion qui s’est incarné dans la fondation et le développement d’un lieu d’enseignement, où la création serait au coeur de la parole tenue sur le Septième Art, où la théorie dialoguerait avec la pratique. Conception impensable alors, pour des raisons économiques et idéologiques, dans l’université française des années 70 et seulement réalisable au Centre expérimental universitaire de Vincennes, transporté (mais non éliminé) en 1980 à Saint Denis. Enseigner pour apprendre, disait encore Godard : au fil des années, ce département Cinéma, a constitué pour des générations d’étudiants cinéphiles un milieu intellectuel et humain, au sein duquel Jean-Henri a joué un rôle primordial et qui l’a aussi aidé, je le crois, à ne jamais renoncer à ses rêves. "Que ma vie reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus ", disait Bernanos. Jean-Henri a en fait le credo réussi de sa vie. Son dernier projet de film le ramenait d’ailleurs à Marseille et à son enfance.
Sa mort le dernier jour de 2012 a provoqué une stupeur dont les effets ont été ressentis bien au delà du monde du cinéma. Ses obsèques sous la coupole du Père Lachaise, les paroles singulières qu’on y a entendues, pendant et après la cérémonie, ont été à l’image de la personnalité protéïforme de Jean-Henri, dont les personnages multiples qu’il a interprétés pour des films d’amis portent désormais ironiquement témoignage. D’une foule compacte, où les cinéastes étaient nombreux, a surgi soudain Jacques Higelin, sorte de réincarnation éphémère du défunt, chevelure, dégaine, voix tonitruante et humour compris, pour un final musical digne des obsèques d’un musicien de jazz, la passion première de Jean-Henri. Magnifique sensation de retrouver chacun pour soi notre ami en artiste. Hommage à la mesure de l’ amoureux sans limites du cinéma qu’il fut.
Serge Le Péron
Cahiers du Cinéma. Février 2013.
Poème de Philippe Tancelin "A Jean-Henri Roger"
Hommage à Jean-Henri ROGER (Département cinéma de l’Université Paris 8)
http://www-artweb.univ-paris8.fr/sp...
Hommage au cinéaste Jean-Henri Roger après sa disparition (Le Monde.fr | 08.01.2013 à 19h33 Mis à jour le 08.01.2013 à 19h47)
http://www.lemonde.fr/disparitions/...
Décès de Jean-Henri Roger (Jean-Louis Comolli - Laboratoire Esthétique, Sciences et Technologies du Cinéma et de l’Audiovisuel de l’Université Paris 8)